DYADES

INÈS HAYM-DOMANGE & DAMIEN CACCIA

​16 octobre - 6 décembre 2020
Vernissage : 15 octobre 2020 16:00-22:00

Commissariat : Camille Frasca & Antoine Py

Photo : Damien Caccia

Photo : Damien Caccia

DYADES

Le couple “figuration/abstraction”, éternelle ritournelle de l’histoire de l’art, depuis Piero della Francesca jusqu’à Gerhard Richter, est au cœur d’une réflexion opérée par le couple d’artistes et le couple de commissaires dans l’exposition “Dyades” à la Galerie Mansart.

La sélection d’œuvres se centre sur le paysage et ses variations dans la pratique de deux artistes. Jouant sans cesse avec de sup- posés antagonismes, Inès Haym-Domange et Damien Caccia explorent les codes abstraits et figuratifs, le monde de la peinture et celui de la sculpture, une réflexion sur le vide et le plein, sur l’es- pace et l’absence d’espace.

Inès Haym-Domange part de la prise du réel - la photographie - pour détailler des éléments issus de la nature ou plutôt issus de ses sensations face à un environnement. Ses œuvres tournent autour de bribes d’éléments figuratifs, fragmentés, découpés puis re- composés, où des carreaux de piscines ne laissent place qu’à une empreinte, où les fleurs ne sont que des ombres, où des filets de pêcheurs évoquent un séquençage d’ADN. Passant d’un matériau à un autre avec une aisance déconcertante, ancrant la plupart de ses œuvrés dans un in situ romancé, elle travaille récemment à la décomposition de l’image jusqu’à son expression la plus abstraite.

Damien Caccia se sert de la matière brute - béton, verre, bois entre autres - pour assembler, accumuler, recouvrir, jusqu’à rechercher le mélange adéquat, l’hybridation la plus idoine. Sa pratique explore depuis plusieurs années une forme d’abstraction lyrique, couplée à une recherche sur les couches et les strates de l’espace de création. Depuis peu, il s’intéresse à nouveau à la figuration, en insérant sur des fonds plâtreux des personnages naïfs ou des morceaux de corps, créant ainsi des bouts de narration.

L’exposition propose d’explorer les toutes dernières créations des deux artistes, à travers un pont entre leurs pratiques créé par les commissaires, où se mêlent concept et concret, profondeur et superficialité, image et non-image.

Plongeon et contre-plongée dans deux univers qui pourraient faire de la phrase suivante le cœur de leur questionnement :
“Je n’oppose pas la peinture abstraite à la peinture figurative, une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative. Abstraite en tant que mur, figurative en tant que représentation d’un espace.” Nicolas de Staël 1

Un couple d’artistes, des œuvres distinctes, une exposition en duo. Des images en miroir, des jeux de regards forment la genèse de “Dyades”, interrogeant la notion même de “couple” dans la pratique de l’art. Depuis l’atelier jusqu’à l’espace d’exposition, une entente à la fois consciente et inconsciente se crée. Dialogue au détour d’un verre, à table, en ballade, les échanges entre artistes et entre commissaires sont multiples. Du simple “tiens j’ai une idée de pièce qui me trotte dans la tête depuis pas mal de temps” à “j’aime ton travail, et j'aimerais en faire une exposition”, autant de parades non-amoureuses mais séductrices entrent en jeu. Partageant régulièrement le même atelier, Inès et Damien dialoguent sans empiéter sur les œuvres de chacun, mais avec de subtiles attitudes guidant l’autre vers des chemins de création sans cesse renouvelés. Il s’agit ici de méditer sur l’idée empruntée à Marcel Duchamp : se projeter dans l’acte créatif avec “l’autre” permet de mieux affiner son idée créative : au travail, l’autre dans le couple est le premier témoin, le tout premier regardeur, et il dépouille “la mélasse sur le verdict du spectateur”. 2
L’appropriation mutuelle et fructueuse des travaux des deux artistes se ressent dans de nombreuses pièces à l’image du travail sur la matière même, et sur l’impression d’une image sur celle-ci. Dans ses grands rouleaux imprimés tels des tentures, Inès pré- sente une image décomposée selon plusieurs points de vue. Ce rapport à l’image réelle, ce jeu avec la photographie l’amène à utiliser la figuration tout en la rendant abstraite. Damien nous propose lui un zoom minime et minimal avec sa série des “Larmes”, photographies prises à l’Iphone et imprimées sur des bouts de colle fondue, donnant l’impression de lentilles de contact ou de larmes figées, microscopiques scènes de la vie quotidienne. Tous deux isolent une partie de leur rapport au monde et la décomposent, puis la replacent différemment avec une intention à la fois figurative et abstraite.
Par cette distillation ludique de l’image dans leurs œuvres respectives, des paysages et donc des narrations s’infusent à l’aide de matériaux mis en scène, qui se répondent entre eux : tissu / cordes, plâtre / colle fondue, plastique / bois. Cette scénographie de la matière-image tend vers la simplicité, à la recherche d’une observation sereine. Deux façons d’observer s’offrent à nous : d’une part une délicatesse précise et d’autre part une brutalité sensible, toutes deux se retrouvant dans une tranquillité de la re- présentation dépassant la dyade abstrait/figuratif.
Les paysages fleuris et éthérés de la série des cyanotypes d’Inès Domange nous ramènent à la force de la couleur et aux détails utiles ou inutiles laissés par la lumière, ces éléments fu- gaces, insaisissables, apparus dans le temps long du mélange et de l’attente. Aucune œuvre chez Inès n’est un objet inanimé, les éléments existent comme des personnages : au-delà des images, ce sont des impressions appétissantes et des odeurs qui surgissent, et tout un environnement se crée par le jeu scénographié de l’artiste.
Une sorte d’hédonisme heureux traverse également l’œuvre de Damien Caccia. Toute matière est à son service, se laissant emprisonner dans des mélanges étonnants, dans des mixtures es- thétiques et infinies. Des lignes, des superpositions de nuances pastel et des figures se croisent dans ses récents travaux - des- sins à la gouache et grands plâtres peints - évoquant un certain rapport préhistorique à la matière, travaillant la forme gravée alliée à l’énergie magique du côté rupestre de ses choix esthétiques pour nous raconter des fragments de récits issus de sa propre mythologie. La simplicité de ses protagonistes nous éveille à une lente contemplation entretenue par le hors-champ presque systématique de ses œuvres : qu’y-a-t ’il au-delà ?

En génies de la légèreté, Inès Haym-Domange et Damien Caccia utilisent l’imagination du spectateur pour faire apparaître du sensible, créant un doux émerveillement. Yeux de peintres ou yeux de photographes ? L’utilisation réciproque et évidente du procédé photographique découle chez les deux artistes d’un rapport quasi
étymologique au mot “photographie” : écrire avec la lumière. Toute l’alchimie de leurs travaux amène des commentaires multiples et variés : à travers cela, l’œuvre devient un autre objet, revêt
une autre réalité, encore et encore, à l’infini des interprétations. La narration comme les images changent en fonction du regardeur, où les partitions d’un rêve pluriel et fluide se jouent.

“Le paysage onirique n’est pas un cadre qui se remplit d’impressions, c’est une matière qui foisonne.” 3


1 Alvard, Degand, van Gindertael, Témoignages pour l'art abstrait, Éditions Art Aujourd'hui, Paris 1952, p. 123.
2 Marcel DUCHAMP, « Le Processus créatif », allocution lors d'une réunion de la Fédération Américaine des Arts, Houston (Texas), avril 1957 - texte anglais original, intitulé « The Creative Act » publié dans Art News, vol.56, n°4, New York, été 1957.
3 Gaston Bachelard, L'eau et les rêves, José Corti, 1978

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