PASSAGES

​TILMANN KREIG

​2 mars - 28 avril 2013
Vernissage : 14 mars 2013 18:00-21:00


Dans le sillage du temps

« Elle est retrouvée. Quoi? L'éternité. C'est la mer allée avec le soleil. Âme sentinelle, murmurons l'aveu de la nuit si nulle et du jour en feu.» Arthur Rimbaud

Par le feu de lumières incandescentes qui traversent et brûlent les ombres portées, Tilmann Krieg n’en finit pas de traquer l’insaisissable, d’abolir en quelque sorte le temps. Et, paradoxe, ce qu’il capte avec une brillante et chatoyante obstination laisse entrevoir un monde à la fois familier et détourné, hors du champ balisé de nos repères habituels. Image d’un monde brouillé, d’un temps qui échappe à toute tentative d’apprivoisement. D’une sombre beauté, parfois proches de l’abstraction, ce ne sont que fugitives apparitions de figures déstructurées que sublime une lumière qui le plus souvent jaillit du noir des pérégrinations nocturnes. Une ombre lumineuse nimbe dans le halo urbain ces silhouettes happées dans le sillage de leur corps astral. Flou des formes entrevues en reflet d’une mémoire qui inexorablement s’amenuise comme le corps se tasse en prélude à sa disparition ultime ; fluidité comme autant de traces cinétiques qui entraînent sans fin les êtres et qui exclut tout détail, toute anecdote auxquels se raccrocher ; temps opiniâtrement furtif entre les ors, les pourpres et les céruléens qui tissent leurs voiles diaprés.

Au fond de son âme, Tilmann Krieg est peintre. Il ignore les contraintes de la pose, donne libre cours à une photographie en liberté tel un pinceau qui caresserait la toile au gré des nuages en surplomb ou des lueurs intermittentes des feux de la ville, et laisse l’objectif saisir, hasard ou non, ce qu’il envie de retenir. Mais il est aussi quelque peu chaman tant la lumière hante son travail comme un médium de voyance. D’ailleurs ce qu’il nous donne à voir se dérobe autant qu’il s’inscrit : la vision d’un instant que l’on croyait s’être approprié, balayée ; évanouie l’émotion, banni le désir comme le sentiment d’avoir réussi à immortaliser quelques secondes de vie. La solitude, elle, demeure en filigrane, omniprésente d’un cliché à l’autre. Le temps alors serait-il illusion, et n’entrerait-il dans notre champ de vision que par effraction ? Chaque pseudo-conquête ne ferait qu’accomplir un rituel de mort en enfouissant sur-le-champ la vie usurpée. Un déclic et ce n’est plus une image que l’on vole, mais l’âme qui y présidait ! Images qui nous rappellent constamment le temps qui se défile et nous dénie l’espoir, le temps qui efface et la nuit qui ensevelit, à l’image de ce triptyque Between the nights avec au centre ce nu d’une figure humaine encadré par l’opacité de la nuit. Et nous sommes là, le temps de notre brève existence, dépouillé, nu, entre la nuit d’avant et la nuit d’après.

​Et comme s’il fallait relever le défi de ce tout périssable, Tilmann Krieg a mis au point une technique de développement sur aluminium et acier dont il conserve jalousement le secret. Sur ces plaques, il tente l’impossible : capter l’invisible ; et si l’esthétique de ses images se rapproche au plus près de notre perception naturelle, difficile de ne pas songer à la caverne de Platon et à ce théâtre d’ombres où la lumière se joue de la réalité… L’artiste se défend de chercher à traduire l’instant qui passe, à le retenir et le figer, de chercher à le capturer pour l’éternité, mais bien au contraire il ne cesse de nous rappeler son flux inéluctable et surtout insaisissable : « Le temps est comme un fleuve ; j’y plonge un instant ma main, lorsque je la retire ne subsiste sur ma peau qu’une trace éphémère, et le fleuve continue de couler… »

Et dans cette quête qu’il poursuit depuis des années à travers le monde, de la Chine aux États-Unis, de la Turquie à la Russie, de la Corée à l’Australie pour saisir l’insaisissable, Tilmann Krieg nous livre peut-être un secret, à travers le dédale de sa recherche, que Friedrich Nietzsche avait bien pressenti : « Un homme labyrinthique ne cherche jamais la vérité, il ne cherche jamais que son Ariane... »

Florent Founès

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