IL Y A SANS DOUTE UNE FAILLE

CÉLIA BERTRAND et MARGOT SPUTO

27 octobre - 12 novembre 2017
Vernissage : 26 octobre à partir de 18:00


Pensée par Célia Bertrand et Margot Sputo, l'exposition "Il y a sans doute une faille" s'inspire de la "Poésie Verticale" du poète argentin Roberto Juarroz.

Le monde devenu une grande fenêtre ouverte sur lui-même, semble se replier, se durcir, se fanatiser, se banaliser, et du coup s'effriter ?

Ils étaient pour un autre monde
Tout dialogue, rompu.
Tout amour, rapiécé.
Tout jeu, marqué.
Toute beauté, tronquée.
Comment sont-ils arrivés jusqu’ici ?
Tout dialogue, verbe.
Tout amour, sans pronoms.
Tout jeu, sans règles
Toute beauté, offrande.
Il y a sans doute une faille
dans l’administration de l’univers
Des créatures erronées ?
Des mondes égarés ?
Des dieux irresponsables ?
Ils étaient pour un autre monde.


Roberto Juarroz (1925-1995), Quatorzième poésie verticale,
​traduction de Silvia Baron Supervielle

La Faille

Il faut s’approcher pour distinguer la faille. Elle se cache dans une nappe d’incertitudes, le coin sombre de nos consciences. Il y a un monde qui se défait, s’éparpille, se vide. Des forces qui nous secouent, nous brutalisent, nous donnent le vertige.

En Pologne, c’est le chagrin de la perte. Ce qui a été construit, conquis depuis des années, notre fierté d’hier, se délite, s’efface. De vieilles fées cabossées sortent des églises et grignotent nos libertés, elles sont encouragées par les déçus ou les exclus du changement, mobilisées par des politiciens rassis. Ceux-là même qui ressortent les haines d’hier : ils inventent une identité factice et réécrivent l’Histoire en une fable kitch. Des gouvernant(e)s qui détruisent la démocratie chèrement acquise. Qui transforment les ressentiments en discours xénophobes.

En France, c’est l’usure des désillusions. On nous a tout promis, du grand Soir aux réformettes. Nous voulions davantage de fraternité et nous avons eu la montée des discriminations. Nous construisions le bien-être social, et la pauvreté s’est installée au pied d’indécentes fortunes. Un monde d’exclus s’est répandu dans nos rues, la méfiance a pris le pas sur la générosité. La liberté sans entrave a été liquidée, Mai 68 caricaturé. Maintenant, on en est au triomphe des soupçons, à l’état d’urgence permanent. Le terrorisme menaçant ne justifie pas tout.

Dans les deux pays, on nous offre les traditions comme salut. Chantez l’hymne national ! Sortez les héros des placards ! Une manière de tenir debout, de ne pas choir. Or, il ne reste que le trognon du péché originel, un aigle mort, des feuilles de pain azyme aux couleurs nationales. Des valeurs mortes. Faut-il se cramponner à ces restes ? Accumuler les miettes ? Face à ce qui se dérobe, j’ai le sentiment qu’il faut d’abord résister. Les artistes le savent parfaitement. Célia Bertrand et Margot Sputo regardent ce monde que fascinent le chagrin des disparitions et l’usure mélancolique. Elles ne l’acceptent pas. Elles nous adressent une colère et une parole, parfois douce, ironique, toujours ferme. Un signe pour ne pas succomber au vertige qui nous tire vers l’abîme de la passivité.

Jean-Yves Pote

Photo: Margot Sputo. "Oplatek". 2017. Pain azyme, 60 feuilles.

Photo: Margot Sputo. "Oplatek". 2017. Pain azyme, 60 feuilles.

Photo: Célia Bertrand, Céleste et funeste, 2017. Terre crue. Hauteur 18 cm.

Photo: Célia Bertrand, Céleste et funeste, 2017. Terre crue. Hauteur 18 cm.

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